La flambée des prix du transport routier : quelles perspectives ?
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La flambée des prix du transport routier : quelles perspectives ?
Aujourd’hui le secteur du transport n’échappe pas au phénomène inflationniste qui frappe d’économie mondiale d’autant plus qu’il agrège un certain nombre de facteurs rendant l’addition peu digeste pour les chargeurs et par conséquence pour le porte-monnaie des consommateurs finaux.
Ce phénomène est-il inéluctable ? Des alternatives sont-elles envisageables à court terme afin de préserver la compétitivité des industriels ?
Avant d’aborder les solutions éventuelles, il convient de bien comprendre les origines de cette flambée des prix.
Tensions dans le marché du transport en Europe
Des tensions sont apparues sur les deux dernières années sur le marché du fret routier en Europe principalement du fait du manque de disponibilité sur l’offre de transport et d’une inflation galopante des coûts d’exploitation. Ces tensions ont mis à mal la santé financière, déjà fragile, des entreprises de transport et ont amplifié les nombreux disfonctionnements des chaines d’approvisionnement des industriels, impactées par les diverses pénuries mondiales sur certains composants ou matières premières.
Les 2 années sous Covid ont effectivement tendu les trésoreries des entreprises de transport opérant avec des marges très faibles. Même si certains pays ont mis en place des mesures compensatoires ou des prêts garantis, le temps des comptes est venu: les pertes accumulées pendant cette période doivent être compensées d’une manière ou d’une autre et les prêts souscrits doivent être remboursés faute de quoi les entreprises feront défaut. Selon la Banque de France, les faillites de sociétés de transport auraient augmenté de 48% en 2022.
Le gasoil, premier poste de charge pour le transport routier, a connu une inflation de 40 à 60% en 2022. Cette explosion des prix n’a malheureusement pas été compensée à son juste niveau dans la facturation des services à la plupart des chargeurs. En effet, si ce poste représentait 25 à 33% de la structure de coûts d’une exploitation de transport selon le type de prestation et les distances parcourues, le poids du gasoil est dorénavant passé entre 30 et 45% en fonction de la fluctuation des cours. Les formules d’ajustement des tarifs transport en fonction des tarifs du gasoil et incluses dans certains contrats de transport ne prennent pas en compte cette évolution structurelle du poids de ce poste charge. Elles offrent donc une compensation partielle de cette augmentation des coûts, bien souvent de l’ordre de 25 à 30% pour du transport routier longue distance alors qu’il serait dorénavant nécessaire de considérer un poids supérieur à 40%. Certains gouvernements ont bien compris l’impact économique et social de défaillances dans ce secteur et n’ont pas hésité à légiférer. Ainsi l’Espagne a imposé un poids minimum du gasoil de 40% dans formules d’ajustement des tarifs transport, mais est-ce qu’une telle réglementation est bien prise en compte par les services achats des donneurs d’ordre ? Le gouvernement Marocain réfléchit à une mesure identique quant au transport international entre le Royaume Chérifien et l’Europe, secteur supportant à une large part de l’économie du pays.
La pénurie de chauffeurs routier en Europe a également attisé les tensions de ce secteur. En 2023 environ 540 000 postes ne seraient pas pourvus sur le continent, phénomène structurel exacerbé par la guerre en Ukraine. Le secteur n’attire plus ! C’est pourquoi cette pénurie a un impact direct sur la disponibilité de l’offre transport pour les chargeurs et un effet inflationniste supplémentaire, d’une part, du fait du principe de l’offre et de la demande et, d’autre part, d’une augmentation des salaires des chauffeurs de manière à conserver ou attirer les bonnes compétences.
Le matériel se fait également rare et cher. Au même titre que pour les véhicules individuels, la production de tracteurs routier a été impacté par la crise du Covid, la pénurie des semiconducteurs et le renchérissement des matières premières. On peut également considérer que les constructeurs ont également profité d’un effet d’aubaine en sortie afin de restaurer leurs marges. Les prix des pièces détachées, des pneus et de la maintenance ont également suivi le même mouvement avec une hausse estimée autour de 15%.
Les subventions gasoil mises en place par les différents gouvernements en Europe et au Maghreb au même titre que les clauses contractuelles d’ajustement des tarifs ont effectivement eu un effet modérateur sur l’ensemble des postes de charges mais sans forcément compenser parfaitement le surcoût carburant subit par les transporteurs. Si de manière générale, ces mesures ont permis d’atténuer la grogne de la profession, leur suppression prochaine pose un problème structurel de stabilité du secteur et promet un effet inflationniste supplémentaire. En effet l’Espagne va supprimer progressivement les subventions de €0.20 par litre de gasoil pour les professionnels du transport jusqu’en juin 2023. La France mettra fin à son aide forfaitaire en mars 2023 et le Maroc n’a pas encore officiellement annoncé la fin de son programme de subventions. Comment les transporteurs vont donc répercuter la hausse de leurs coûts de production ?
Quelles perspectives d’évolution des prix du transport ?
Le prix des carburants restera élevé aux niveaux actuels en 2023 du fait des tensions internationales et de l’effet d’aubaine pour les pays producteurs. La suppression des ristournes à la pompe fera peser une charge supplémentaire aux transporteurs qu’ils devront répercuter dans les tarifs.
Les autres facteurs inflationnistes vont persister : pénurie de chauffeurs (même si certains gouvernements ouvrent avec parcimonie les portes à l’immigration pour un effet marginal), augmentation des salaires du fait de l’inflation générale, équipements et pièces détachées toujours plus couteux, etc… De même, compte tenu des pertes accumulées sur la période Covid et des prêts à rembourser, le secteur du transport devra restaurer ses marges afin de pérenniser son activité et assurer un minimum de rémunération du capital.
Comme mentionné précédemment, les subventions fuel vont s’arrêter progressivement dans la plupart des pays et les transporteurs devront automatiquement répercuter l’augmentation de leurs coûts dans leurs tarifs à défaut de ne pouvoir maintenir leur service. A ce titre, alors que le marché s’était habitué à une stagflation et une pression constante des acheteurs sur les prix du transport, le rapport de force ne s’est pas inversé mais s’est radicalement transformé. En effet face à un déséquilibre offre/demande, les transporteurs ont dû opérer des arbitrages au profit des activités les plus rémunératrices offrant des perspectives moyen terme ainsi qu’en faveur des chargeurs proposant de justes mécanismes d’ajustement des prix. Faute d’accord, certains transporteurs ont même préféré laisser les véhicules à l’arrêt plutôt que de creuser leur déficit.
Les prix du transport vont donc continuer à subir une inflation importante notamment sur les axes commerciaux où les volumes restent soutenus, tels que sur l’axe Maroc-Europe, mais vont se stabiliser sur l’intra-européen du fait de la contraction de l’économie.
Une meilleure collaboration chargeur - transporteur peut atténuer ces effets inflationnistes
Cette situation très tendue et unique offre l’opportunité à tous les acteurs de revoir le modèle de collaboration, ou plutôt de passer d’un modèle de sous-traitance pure à une relation plus équilibrée où les intérêts communs peuvent peut-être converger.
Avant toute idée de collaboration et de recherche de gains de productivité, la priorité pour les chargeurs doit avant tout être de sécuriser la capacité transport mise à leur disposition. Les conséquences d’une rupture de la chaine d’approvisionnement sont bien plus importantes que les quelques pourcentages gagnés dans le process d’achat des prestations transport. Les engagements contractuels et autres pénalités contraignantes pour les transporteurs ne suffisent plus à garantir les moyens mis à disposition. Il faut certainement mettre en place des contrats volumes garantissant un minimum de flux contre une mise à disposition d’une flotte garantie avec une fluctuation à définir, l’offre n'étant plus flexible à souhait. Le marché du transport a évolué, même s’il reste beaucoup à faire en termes de maturité de l’ensemble des acteurs. Mais les entreprises de transport sérieuses et partenaires fiables des chargeurs ne peuvent plus se permettre d’assumer sur leurs marges, déjà faibles et mises à mal ces dernières années, des risques industriels ou ceux liés à la valeur des marchandises. Les chargeurs ont certainement plus à gagner à négocier des engagements de capacité afin de sécuriser leur chaine d’approvisionnement et de distribution contre des clauses contractuelles plus raisonnables d’autant plus que les sociétés de transport face à une demande supérieure à leur flotte disponible devront effectuer des arbitrages au détriment des chargeurs ayant les conditions les plus contraignantes et les moins rémunératrices.
Une fois la capacité transport sécurisée, il est important d’identifier des actions d’amélioration de la productivité de la flotte en étroite collaboration entre transporteurs et chargeurs afin de générer des gains qui peuvent alors être partagés et qui permettront d’atténuer les effets inflationnistes évoqués précédemment. Un des points majeurs de surcoûts est l’immobilisation des véhicules du fait de disfonctionnements rencontrés lors des opérations de chargement ou à destination. Ces coûts supplémentaires sans valeur ajoutée ne sont pas toujours bien identifiés ou sont quelquefois considérés comme une normalité. Les transporteurs, du fait d’une relation commerciale défavorable, doivent parfois les absorber ou finissent par les intégrer dans leur tarif impactant au final le budget transport des chargeurs. Lorsque ces immobilisations sont facturées aux chargeurs, elles sont quelques fois incorporées dans les budgets de production au risque de ne plus être identifiées comme source de sous-performance. Dans ce contexte, si aucune action d’amélioration n’est envisageable à l’origine ou à destination, des solutions de ‘drop & swap’ peuvent permettre d’optimiser le temps d’opération des tracteurs de même que l’apport de technologie en tant qu’aide à la planification peut être considéré en complément d’une collaboration nécessaire entre les parties.
D’autres gains de productivité peuvent être générés au travers d’une réduction ou plutôt d’une meilleure efficacité des tâches administratives. Il faut savoir que ces dernières ainsi que les coûts de structure représentent de 10 à 15% des coûts de transport, donc une opportunité non négligeable d’optimisation et d’atténuer les facteurs inflationnistes. Dans ce cadre, l’utilisation d’outils digitaux peut être un accélérateur de performance intéressant. De nos jours, il est parfois aberrant de constater que les chargeurs aussi bien que les transporteurs maintiennent toujours des process désuets, sans valeur ajoutée, consommateurs de main d’œuvre et générateurs de CO2. Quelles tâches peuvent donc être améliorées ?
- Un ordre de transport est initié encore trop souvent manuellement via email ou encore par transmission de fichier Excel ce qui nécessite de multiples saisies avec un risque d’erreur induit. La mise en place d’EDI sur des plateformes standardisées ou encore un simple accès web offert par le transporteur à ses clients peut simplifier ce process ;
- Concernant le tracking des ordres de transport, combien de chargeurs utilisent un tracking électronique soit via un accès web ou via une transmission EDI des statuts ? Dans beaucoup de cas, il est demandé au transporteur un suivi manuel fastidieux sur Excel et une remontée d’information par email plusieurs fois par jour, informations qui ne sont bien souvent utilisées que par exception ;
- Les reportings de performance et autres statistiques manuelles nécessitent une charge administrative sans véritable valeur ajoutée et pourraient être automatisés sur la base de ce que le TMS du transporteur peut produire, couvrant généralement 99% des besoins des chargeurs ;
- Quant au process de facturation, il est parfois resté bloqué au XXème siècle et certains chargeurs imposent encore la production de CMR ou documents de livraison originaux joints aux factures papier afin de pouvoir les comptabiliser, process fastidieux sans réelle valeur ajoutée mais qui permet à certains chargeurs de gagner en délai de paiement
Il est évident que des gains financiers peuvent être générés par une réévaluation conjointe de l’ensemble de ces tâches administratives et ainsi atténuer les hausses tarifaires inéluctables à venir. L’impact carbone de ces tâches est aussi à considérer à l’heure où les solutions de transport international à moindre émission ne sont pas encore économiquement attractives ou techniquement prêtes (hydrogène, électrique, rail-route, etc.).
Une autre piste à explorer concerne les conséquences du manque de chauffeurs en Europe et ses effets inflationnistes induits (augmentation des salaires, primes kilométriques ou de rétention, etc.). Pour les flux internationaux avec le Maroc, partenaire économique majeur de l’EU notamment dans les secteurs de l’automobile, du textile et de l’agro-alimentaire, les chargeurs peuvent privilégier les transporteurs avec une flotte marocaine importante, tels que SJL, et pouvant opérer en Europe. En effet, le Maroc dispose d’une main d’œuvre importante avec des niveaux de qualification répondant aux standards européens. Mais attention cette stratégie doit être menée avec parcimonie et professionnalisme. En effet, les niveaux de qualifications, de respect des normes de sécurité et des réglementations peuvent être très disparates. De plus les risques liés à l’immigration illégales et aux différents trafics illicites sont réels et doivent être abordés avec beaucoup de sérieux. Les chargeurs, dans leur processus d’évaluation, doivent s’assurer que les transporteurs sélectionnés ont mis en place des procédures très strictes quant à la sélection des chauffeurs avec un programme de formation continue. Par exemple dans le Groupe SJL, les chauffeurs ne pourront être affectés à l’activité fret international qu’à partir de 2 années d’ancienneté permettant de s’assurer de leur fiabilité et de leur performance aux standards attendus.
La flambée des prix du transport est donc un phénomène inéluctable et structurel mais au travers une meilleure coopération entre chargeurs et transporteurs la mise en œuvre de bonnes pratiques permettra d’atténuer les impacts économiques et construire ainsi un avenir durable.